TW: Agression
Peu avant mes 20 ans, j’ai quitté mon amoureux des trois années précédentes. Ce qui m’a mené à cette décision s’expliquait difficilement à mon entourage. Premièrement parce que ledit amoureux était le gendre rêvé, le grand gaillard bien bâti dont toutes les filles de 19 ans rêvent et car il était franchement gentil, respectueux, drôle, intelligent et un excellent amoureux.
Et, deuxièmement, parce que ce souhait de mettre fin m’avait été demandé de façon très claire par mes envies et ma libido fortement émancipée de jeune femme. Je voulais de la chair, de l’homme, découvrir, charmer, sortir sans contraintes et m’amuser avec ce désir de sexualité qui ne demandait qu’à jaillir. Mais bon, ça ne se disait pas vraiment. Sauf à quelques amies et… à ma mère.
Ma mère a su. Pour elle, je n’avais pas de secret.
Ma mère est devenue femme dans les années 70. Bien que ces années soient décrites comme débridées sur le plan sexuel, ma mère n’a pas suivi cette vague. C’est pourquoi, peu après ma rupture, alors que j’étais encore sous le choc de ma propre décision qui me semblait irrationnelle, ma mère m’a dit : « Ne fais pas ta niaiseuse comme moi. J’étais ben trop nounoune. Profites-en pour moi. »
Je l’ai prise au mot. Et j’en ai aussi profité pour ma grand-mère. J’ai cru bon l’ajouter dans ma « très sérieuse » démarche d’émancipation puisque j’ose croire qu’elle n’a pas goûté beaucoup aux plaisirs charnels elle non plus. Peut-être. Mais bon, ce n’est pas le fond de l’histoire. Je me suis dit que j’allais me sacrifier pour la cause.
Alors, pendant quelques années, j’ai exploré. Ma liberté sexuelle s’est vécue. En toute sécurité, en pleine connaissance de cause, en pleine lucidité. En une soirée, je fantasmais, séduisais et réalisais mon fantasme. Cette liberté sexuelle exprimée me rendait fière. Fière ? Pourquoi donc ? Mon moi intérieur était comblé et je m’amusais. Je donnais libre cours à mon imagination.

Et si quelqu’un osait me dire que l’addition de conquêtes était un acte odieux… je lui retournais vivement une phrase du genre : « Un homme qui couche avec de nombreuses femmes est cool, hot et valorisé. Une femme qui le fait, c’est une salope. ». Et je reprenais mon chemin avec mon féminisme bien à moi. Libre j’étais.
Je ne me doutais pas qu’une série d’événements allait refermer sadiquement mes ailes déployées. Pris individuellement, ces événements n’ont peut-être pas un poids énorme pour certains. Pour moi, ça a mis fin à ma liberté sexuelle.
Un midi, un homme m’a flashé sa queue en plein métro. De l’autre côté de la rame, station Préfontaine, il m’a montré son membre en érection comme on montre fièrement un trophée. Souriant, il me regardait et s’amusait à me voir réagir avec stupeur. J’ai figé. Je me suis élancée dans le wagon arrivant devant moi et j’ai pleuré avec secousse. Pourquoi avait-il fait ça ? Je n’en savais rien.
Un soir, après une soirée bien arrosé au feu Central Station, je suis repartie avec un jeune homme à son hôtel. Cet Ontarien visitait la métropole pour assister au camp d’entraînement des Canadiens de Montréal. Après nos ébats, c’est-à-dire à la seconde où monsieur avait terminé et gloussé un soupir, il m’a poussé un « I’m done, take a cab and go home ». Encore aujourd’hui, je ne parviens pas à expliquer le sentiment destructeur que cela m’a fait. Stupéfaite, je me suis levée et je me suis rhabillée. Je me sentais utilisée, moche tout à coup. Comme s’il venait de me retirer le fait que moi aussi j’avais voulu de cet échange entre nous. Sale, je me sentais sale. En ramassant mon soutien-gorge au sol, j’ai aperçu sa montre. Elle brillait dans le noir. Je l’ai prise et mise dans ma poche. Il m’a aperçu. Il s’est écrié de la lui redonner. De toutes mes forces, je lui ai crié par la tête que s’il me traitait comme une pute, j’allais me payer. Que ce n’est pas ainsi qu’on traite une femme. Qu’il peut le payer cher. Et que je peux aviser les journaux de sa façon de faire pas-très-respectueuse-envers-les-dames-pour-un-possible-futur-joueur-du-CH. Oups ! J’ai touché une corde sensible. À genoux sur le lit, il m’a supplié de ne pas aviser quiconque et m’a présenté ses excuses. Je lui ai remis sa foutue montre et je suis partie. Aussitôt la porte franchie, mon courage s’est effondré et j’ai pleuré. J’ai pleuré tout le long du retour en taxi. Chez moi, je me suis douchée ardemment et j’ai appelé une amie. Elle m’a consolé et a compris mon sentiment. On m’avait volé mon propre désir de liberté sexuelle.
Septembre 2008. Soirée retrouvailles du Cégep. Cette soirée est si claire dans ma tête que le verbe conjugué au présent s’impose.
Ah ce gars. Je le trouve tellement beau pendant mes études collégiales. Maudine, c’est le moment. Je suis célibataire maintenant, je peux en profiter. 1, 2, 3 verres. « Tu veux venir chez moi ? » Oui est sa réponse. Trajet du centre-ville vers Hochelaga. On jase, on rigole. Je le désire.
On monte les trois étages de mon bloc. Jusque-là, tout va bien. On s’assoit dans le salon. C’est bon. On jase et jase encore. Tout à coup, il dit des choses prétentieuses. On jase encore. Je le trouve fendant, sans intérêt. Je déchante et change d’idée. Je n’ai plus envie de lui. Je suis passée de 1000 sur une échelle de 1000 dans le taxi, à zéro comme un maudit gros zéro dans mon salon après une discussion de 30 minutes. On finit nos coupes de vin. Dans ses yeux, je vois que lui pense qu’on est rendu au round number two. Moi, je suis rendue à ciao bye, je vais aller me coucher. Je me lève et je lui dis que c’était une soirée agréable et je marche vers la porte. Pour moi, il n’y a pas de malaise. J’ai bien le droit de changer d’idée et je reste bien polie. Il réalise instantanément que je n’ai plus la libido dans le tapis.
Ce sont enchainées des phrases telles que : « Ben voyons, on avait du fun, pas déjà ! », « Attends un peu, je suis venu ici pour qu’on ait du fun toi pis moi ». Il s’approche et tente de m’embrasser. Je lui mentionne que j’ai changé d’idée, que je n’en ai plus envie. Il persiste. Je me réexplique et justifie. Il me pousse contre le mur et m’embrasse fermement le cou et la bouche. « Ben voyons Marie, tu ne peux pas me faire ça. Je suis venu ici pour ça. Tu m’as fait venir ici. » Je suis figée l’espace d’un instant. La culpabilité me bloque. Et, tout à coup, ma force revient. Ce n’est pas vrai qu’il va me forcer à ravoir envie de lui. Je le pousse. Je lui gueule alors par la tête qu’il n’a rien compris et qu’il doit « crisser son camp chez lui ». Il ajoute encore des justifications et me dit qu’il n’a pas d’argent pour reprendre le taxi. Je sors furieusement un 20 $ de ma sacoche et je lui lance en plein visage. J’ouvre la porte et lui pointe la sortie. Il continue ses supplications. Je lui hurle de foutre le camp. Il redescend les trois étages la queue entre les jambes. Et il ose peser sur la sonnette une fois rendu au rez-de-chaussée. J’ouvre la fenêtre et il me supplie de remonter, qu’on va arranger tout ça. Mes mots, à cet instant, ont certainement été entendus dans tout Hochelaga. Il semble avoir alors compris.
Mais moi, après cet instant, ça s’est brisé à l’intérieur. Je me suis lavée. Je me sentais sale encore une fois. Coupable. J’étais coupable de l’avoir ramené chez moi. De lui avoir fait des avances et d’avoir changé d’idée.
Ce soir-là, je me suis promis que c’était le dernier. Que plus jamais je n’allais écouter ma libido et ma sexualité débordante. J’allais la taire et arrêter tout.
C’est ce que j’ai fait. Quelques mois plus tard, je me suis rangée bien comme il faut, comme une femme décente et respectable. J’ai respecté ma parole. En plus, je me suis encore plus casée puisque je suis tombée enceinte. Tiens, calme-toi les ardeurs Marie-Claude. Arrête-moi ça.
Et, savez-vous quoi ? Mon fils avait un mois et, en pleine nuit, je pleurais. Je pleurais l’ancienne moi que j’avais laissé tomber. Celle qui, outre sa liberté sexuelle, était 100 % libre. J’aimais ma vie universitaire, mes amies urbaines et tout de ce que j’étais. J’étais foncièrement heureuse.
Je ne dis pas que c’est cette situation finale qui a fait que je me suis mise en couple et que je suis tombée enceinte. Mais, c’est comme si mon changement abrupt avait été causé par tout ce dénigrement intérieur auquel je m’adonnais. Je dénigrais cette femme hypersexuelle que j’avais été. Ma culpabilité était telle que je voulais le contraire pour moi. J’ai étouffé ma personnalité. Pas juste ma sexualité. En plus de ma culpabilité, la domination exprimée par ces trois hommes (métro-flash-pénis, take-a-cab et le salaud insistant) ont successivement éteint mon désir des hommes.
Ma liberté sexuelle m’a été volée. Et une partie de mon être s’est envolée ce soir-là.

Mon mot de la fin va à l’une de mes amies. Récemment, pendant une soirée consentante où sa sexualité s’exprimait, elle a été victime d’une agression sexuelle. Oui, exact. Vous avez bien lu.
À son insu, le gars a retiré le préservatif pendant l’acte. Sans l’avertir, et bien qu’il savait que le port du condom était une exigence, il a fini « la job » (ça ne peut pas se nommer autrement quand c’est fait par un salaud), sans condom. Monsieur s’est justifié en disant qu’il n’aime pas ça avec un condom. Mon amie s’est sentie sale et coupable. Dévastée. Là, son envie sexuelle n’est plus. Ses énergies sont consacrées sur son rétablissement et sur les procédures judiciaires. C’est une agression sexuelle. Point à la ligne.
Des hommes nous volent ce droit à une liberté sexuelle choisie. Mon amie, ne brime pas qui tu es à cause de cet agresseur. Panse tes plaies et reviens à toi.
Merci à l’autrice Marie-Pier Lafontaine pour son essai « Armer la rage » et Kim Lévesque Lizotte pour son documentaire « Allô, voici mon pénis » qui m’ont aidé à cheminer dans cette réflexion libératrice.
Me voici, à 20 ans, épanouie dans mon corps et mon être sexué.
